Vous en avez peut-être entendu parler récemment, depuis que le site Business of Fashion a consacré il y a quelques jours un article à ce phénomène. Je suis moi-même tombée dessus et cela m'a rappelé quelques autres articles que j'avais lus il y a quelques temps. Ce n'est pas un phénomène nouveau, cependant, la tournure prise par les événements récents, profondément liée au pouvoir des réseaux sociaux et de la GenZ, qui est plus vocale et militante que n'importe quelle génération précédente, est suffisamment intéressante pour s'arrêter et réfléchir. La controverse a commencé en Chine il y a quelques années, mais a explosé il y a quelques mois lorsque quelques acheteurs chinois (courageux!?) ont commencé à se plaindre bruyamment - et même à protester devant certaines boutiques Hermès dans les villes du pays - à propos d'une pratique connue dans le pays sous le nom de " peihuo" ... des plaintes devenant virales sur les réseaux sociaux.

Photo : shopping line outside a Hermes store.
Selon la rumeur, "Peihuo" est une tactique de vente payante type "pay-to-play" qui obligerait les acheteurs à faire des achats inutiles et indésirables pour avoir accès aux sacs les plus emblématiques de la marque, le célèbre trifecta "B,K,C" - alias les initiales des sacs les plus recherchés de la marque Hermès, les fameux Birkin, Kelly & Constance. Un chemin non officiel (mais assez bien discuté et décrit parmi les clients) en plusieurs étapes et structuré qui mènerait au graal. Plus récemment, il y a eu des rumeurs supplémentaires sur d'autres marques de luxe mettant en œuvre la même pratique (Céline, Chanel et Rolex pour n'en citer que quelques-unes). Évidemment, toutes les marques ont démenti à plusieurs reprises jusqu'à aujourd'hui et tout n'est que rumeur (une règle non écrite dont personne ne doute vraiment cependant...). Interrogées à ce sujet, les équipes d'Hermès ont un jour répondu :
"Ce n'est pas une politique approuvée par l'entreprise… ce qui est vrai, c'est que la plupart des marchés doivent gérer la pénurie. Cela signifie gérer les listes d'attente, et parfois gérer les déceptions et les longs délais d'attente."
Même réponse coté Chanel.
Ce qui est vrai, c'est que le Covid-19 n'a certainement pas aidé, les sites de production fermant ou ralentissant pendant des mois parfois au cours des deux dernières années... D'une certaine manière, Hermès dit qu'ils gèrent simplement la rareté, pas qu'ils l'organisent artificiellement. Soyons honnetes un instant: même s'ils le faisaient, pourrait-on les en blâmer et pourquoi le ferait-on ? Si c'est comme ça que le marché est, avec une offre faible faisant face à une forte demande, pourquoi ne récompenseraient-ils pas leur VVVVIP avec un accès spécial à ces objets tant convoités ? De plus, une telle demande et un tel désir pour la marque ne sont pas apparus comme par magie hier. Il a fallu des décennies de travail acharné et la stratégie la plus intransigeante pour que la maison en arrive là. Pour moi, cela ne ressemble pas à une tactique dont Hermès aurait besoin ou qu'ils auraient pu activement instaurer, mais plutôt à une tactique commerciale risquée et court termiste qui est assez contraire à tout ce que la marque fait depuis toujours. Je crois que comme dans toute situation, la vérité se situe sans doute quelque part entre les deux. Un système qui s'est sans doute construit naturellement au fil des décennies, entretenu passivement (et sans doute contre la volonté des parties, marque et clients) et dont personne ne peut vraiment sortir aujourd'hui car, in fine, bénéficiant à tout le monde.
En effet, on pourrait tout à fait affirmer qu'une telle rareté profite largement aux clients les plus fidèles des marques - enfin, du moins à ceux qui parviennent à mettre la main sur l'un de ces sacs. En effet, ils ont la garantie que leur sac ne perdra pas de valeur dans le temps ( et même le contraire en fait) et si jamais les clients décidaient de le revendre sur le marché secondaire, la demande étant tellement forte qu'ils le revendraient très cher, très rapidement . La rareté les rend très liquides. Un vrai cercle vertueux. Curieusement, d'une certaine manière, le fait qu'il y aura toujours des clients déçus ou frustrés est exactement ce qui rend ces clients désireux d'en acheter un et les propriétaires d'un de ces sacs, heureux.
En 2022, une marque de luxe devrait-elle essayer de faire plaisir à tout le monde ou devrait-elle se concentrer sur ses clients les plus fidèles, quitte à mettre les autres en colère ? J'ai une opinion personnelle mais c'est définitivement une question qui pourrait être débattue pendant des jours et le sujet d'un article à lui tout seul ...

Photo: capture d'écran de la série Sex and the City.
À mon avis cependant, que l'on approuve ou désapprouve la pratique, ce n'est pas vraiment la question. Je veux dire, oui, il est important de surveiller ce phénomène de près - car aucune marque, même Hermès, n'est à l'abri d'un bad buzz majeur en 2022 (on a vu des clients boycotter des marques pour moins que ça). De plus, des marques comme celles mentionnées dans cet article travaillent trop dur pour bâtir leur réputation pour la voir endommagée par quelques publications sur les réseaux sociaux devenues virales. Mais les vraies questions ici seraient plutôt les suivantes : - Est-ce légal ? Ou n'est-ce pas légal? - Et y a-t-il une forme de discrimination là-dedans ? - Si elle existe, comment en faire une stratégie de bundling légale ? Et est-ce que quelqu'un profiterait vraiment de l'arrêt du système ?
Tout d'abord, cette pratique peut être 100% légale aux yeux de la loi chinoise. Cependant, la ligne qu'une marque doit suivre pour la rendre légale est très mince et subtile. Comme expliqué dans un article sur le site web de HFG Law & Intellectual Property, il peut être légal pour une marque de mettre certains de ses articles à la disposition de ses meilleurs clients et d'autres VVVIP uniquement, tant que le processus est fixé, le même pour tout le monde et la manière pour obtenir ce statut communiqué de manière claire (comme un programme de récompense/fidélité). Le problème semble être double dans la situation actuelle décrite par les personnes en ligne ces jours-ci : 1 - certains clients semblent laisser entendre que cette pratique Peihuo est majoritairement réservée aux clients chinois - ce qui pourrait alors être considéré comme une discrimination. 2 - il n'y a absolument aucune transparence. Les marques elles-mêmes nient l'existence même d'une telle tactique, et les clients semblent de toute façon perpétuer ce système opaque en achetant activement et sans qu'on leur demande - en espérant qu'ils seront autorisés à accéder à l'un des articles les plus emblématiques.
La vérité est que même si ces marques voulaient établir un tel système ouvert et transparent, en particulier en Chine, le nombre élevé d'individus fortunés capables de gravir les échelons du programme de franchise et de statut de la marque empêcherait la marque de satisfaire tout le monde - car il n'y aurait tout simplement pas assez de ces sacs à main pour tout le monde (l'estimation de leur production est d'environ 120 000 par an... contre une estimation de plus de 5 millions de millionnaires en Chine en 2020*...).
Et poussons le raisonnement un peu plus loin. Imaginons que ces marques le mettent en place et augmentent considérablement la production de ces articles pour servir tout le monde. Que va-t-il se passer ensuite? En raison de l'afflux de produits, la valeur va commencer à diminuer, tant sur les marchés primaires que secondaires. Le désir s'estompera et, à un moment donné, les ventes diminueront. Bref, personne ne gagne...
D'où ma dernière question: quelqu'un profiterait-il vraiment de l'arrêt du système ? Je ne crois pas.
* Source : Credit Suisse Global Wealth Report 2021 | Also, according to the 2021 Knight Frank Wealth Report, which defines HNWIs as individuals with over US$1m of investable assets, there are now more than 5.8 million HNWIs living on the Chinese mainland, and by 2025 it is projected there will be 9.1 million. This is up from 343,000 in 2010.
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